Lui aussi, il aimerait bien croire à un monde utopique, croire à la générosité des uns. Mais, c’est un rêve.
Lui-même cherche à se protéger, lui-même a des priorités, et lui-même n’est pas un exemple de cœur sur la main et de gentillesse sans condition. Il aime bien penser, cependant, qu'il n’y a pas de la merde partout. Enfin, il essaye. C’est un travail en cours. Rencontrer des gens comme la jeune femme aide à s’éloigner de cette vision pessimiste et venimeuse des choses. Tout n’est pas à jeter.
Il ne peut pas s’empêcher d’avoir une sorte de bruit de gorge sarcastique à son…compliment. Il serait d’avis de dire qu’elle lui fait confiance bien vite, et qu’il a un vrai caractère de merde selon beaucoup de gens (et c’est son opinion aussi), il se retient juste parce que ça ne ferait que la desservir. Il ne veut pas lui faire peur ou lui mettre le poids du doute sur les épaules, pas là, pas ici. Ce serait déshonorable. (Et peut-être que ce n’est pas si mal, de ne pas être considéré comme un fou à lier cynique pour une fois.)

La pluie continue de tomber, une fuite dans le coin d’une des bâches fait passer un filet d’eau devant eux. Maggie le fixe, comme s’il regardait un film particulièrement passionnant, nullement inquiété. Il se tend un peu quand il sent Alice bouger, se replacer plus proche encore, reposant contre lui. Il peut sentir des rivelets d’eau couler sur son bras depuis ses longs cheveux, et sa respiration légèrement inégale. 
Il ne peut pas s’en empêcher, son regard tombe sur elle, observant son visage toujours rosé, des mèches de sa frange à moitié essorée qui partent dans plusieurs sens, diverses tâches de soleil et marques d’une vie bien active sur sa peau… 

C’est quand elle parle qu’il se rattrape, relevant la tête en se maudissant de sa bêtise. Il décide de l’imiter, et se détend un peu, fermant les yeux et soupirant. 
La question a mille dollars donc.
« Je ne l’ai pas rejoint. Je faisais partie des cobayes pour tester la cryonie, avant le projet. On devait se réveiller en 47. » En soi, il ne pensait pas que ces histoires de cryo allait fonctionner. C’était de la science-fiction. Mais ça ne répond pas totalement à ce que la rousse demande. Il soupire à nouveau, il se sent beaucoup plus relaxé maintenant, et le froid ne mord plus autant. 
« Je voulais un break. Et assez d’argent pour recommencer. » Comme quoi, il est un bon exemple de ce que la cupidité peut amener comme connerie. Mais il ne devrait pas trop se plaindre. 

Il rouvre les yeux, cette fois sur le faux plafond en toile. « Et toi..? » Il ne sait pas s’il marche sur une mine, mais elle a demandé en premier après tout.

Terrible ? Est-ce que ça avait été si terrible que ça, de découvrir le pot aux roses. Sa réaction, oui, apprendre que tout ce que tu connais n’existe plus, oui, être en vie par erreur, oui. Mais, contrairement à d'autres personnes dans la même situation que lui, il a eu ce qu’il voulait. Techniquement. Une vie dans une forêt, éloigné au maximum des villes, des gens énervants et des informations anxiogènes. Une opportunité de respirer, et d'être plus lui-même.
Non, ce qui est vraiment terrible, c’est qu’il se sent bien mieux dans ce monde qu’il ne l’était avant. Malgré tout ce qu'il a perdu, malgré tout ce que les autres ont perdu... C'est ça le véritable égoïsme.

Il ne pourra jamais dire de telles pensées à voix haute. 

Il l’écoute donc à la place, associant les bouts d’info à l’histoire de la personne. Il ne veut pas l'interrompre, de ce qu’il comprend, ça n’a pas dû être simple pour elle d’entrer dans ce projet, comme si..Comme si elle avait une sorte de culpabilité qui lui pesait lourd dans son esprit. 
Il détesterait si fort d'être déchiré de la sorte. Il ne le supporterait pas. 

“Je crois que j’aurais vraiment aimé faire partie de ces péquenots.” Il sourit avec elle, qui sait ce qu’il se serait passé s’il avait pu se détacher de tout avant ? “Ça devait être incroyable à faire. Voyager partout… Faire quelque chose d’utile. D’impactant pour les autres.” À mille lieux de ce qu’il faisait tient. 

Il se penche un peu, et réajuste les couvertures sur eux. Il se sent plutôt bien maintenant, même avec Alice accroché à son bras. C’est réconfortant. 

“Avant, j’étais caporal dans l’armée. C'était de la merde.” Même pire, mais il ne va pas raconter à la rousse tous les détails de sa vie ennuyeuse. C’était avant comme elle dit, et il n’y repense pas avec nostalgie, ni avec quelconque amour. À la place, ses souvenirs sont remplis de rancœur et de temps considéré comme perdu. Et de temps volé à d’autres. 

“Mais, tu sais, j’ai signé en sachant qu’il y avait des risques, pour la cryonie. C'était juste marqué nulle part que l’un des risques était de se réveiller après la fin du monde.” Enfin, du monde, de l’humanité plutôt. Le monde a l’air au contraire de se porter sacrément bien. C’est vert, c’est bleu, les plantes sont géantes, il y a plein d’animaux… Oui, vraiment, la Terre est en bien meilleure santé. 


“Je ne pense pas que ta décision peut être qualifiée d’égoïste. Ou, c’est quoi, puéril tu disais ?” Il resserre un peu son bras, et celui d’Alice par extension. “Il faut en avoir dans l’estomac pour se dire que tu vas plonger dans l'inconnu. Et prolonger un peu le temps pour la race humaine. Je n’aurais jamais eu les couilles de faire pareil. Tu es plus généreuse qu'autre chose.” Ah, la pluie a l’air moins violente. Peut-être que le temps va enfin se calmer.
“Et, honorer une promesse, c’est tout sauf égoïste.” 

Ça ne lui ressemble pas ? Bien. Il le prend plutôt comme un compliment, il ne veut pas vraiment être associé à cette partie de sa vie. 
“Il faut m’imaginer avec…cinquante centimètres de cheveux en moins. Et un uniforme.” Et qui vocifère des ordres tout en insultant ses supérieurs. Bien qu’il fût plutôt appliqué, avant que la vitre ne commence à se briser. 

Il se serait presque à nouveau perdu dans ses pensées, regard dans le vide, si elle n’avait pas continué. Il sourit un peu, c’est rassurant de savoir qu’il n’est pas seul à préférer cette vie, et que la rousse se sent bien. Elle a l’air de le mériter, d’être une personne réellement bien. Les gens comme elle mérite le meilleur du monde, malheureusement, le monde n’en a rien à foutre, et certains s’en retrouvent détruits. 

Fermant les yeux, il respire profondément l’air frais, et l’odeur si agréable de la pluie, et ça se serait fini là, dans un silence agréable si Alice ne s’était pas levé. Ses yeux tombent sur la longue cicatrice barrant son dos, son esprit formant mille et un scénarios sur comment elle a bien pu se faire ça, sa main venant toucher son épaule dans sa réflexion. Il se demande comment était la douleur, et combien de temps elle a mit pour guérir. 
Il se demande vraiment beaucoup de choses, tant qu’il met du temps à se rendre compte qu’elle est..dehors. 

Attend, quoi ? 

Pourquoi ? 
Ils ont mis tellement de temps à sécher, à galérer à monter l'abri pour se protéger de l’orage, ils se sont déshabillés pour ne pas attraper froid et…elle sort ? 
Il ne comprend, mais alors absolument pas, la regardant les yeux écarquillés, complètement pris de court par la situation. Puis attendrit par les éclats de rire de la jeune femme, par son sourire éclatant et le rouge de ses cheveux qui ressort encore plus sous le rideau d’eau. 
Alors il se lève, laissant la couverture derrière lui, et sortant aussi, sentant les gouttes d’un coup sur sa peau et riant aussi. C’est tellement stupide ! 

“Tu as toujours rêvé de danser nue sous la pluie ?” Elle a des rêves étranges. Et il se fiche bien qu’elle regarde, ce n’est pas comme s’il avait quelque chose à cacher…ou un sens commun de la pudeur. Il lève le nez vers le ciel, laissant la pluie tomber sur son visage. Il doit admettre, c’est très…ça libère totalement de faire ça. Comme si l’eau emportait ses inquiétudes en plus de la poussière. Aucun jugement présent. 

Il sourit, totalement désinhibée, et si elle se force à faire quelque chose… Il se force aussi, et hurle. Juste, il crie. À s'en péter les poumons. Sous la pluie qui étouffe à moitié le son. Parce qu’il en a bien besoin de hurler, et bien le droit. Pour une fois, il estime avoir le droit. Et c’est beaucoup.

“Bordel !” Ça fait du bien ! Il se retourne vers Alice. “Vivifiant. Tu devrais essayer.” Et il rit encore, passant sa main dans sa frange pour la mettre en arrière. Elle avait raison. “À nos nouveaux débuts alors.” Il lui tend la main, comme pour sceller un pacte. Il se sent immensément paisible à ce moment.