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L'abeille seule ne fait pas de miel [Maggie]
A la base, j’aspirais juste à un peu de musique.

« A la base… », c’était quand déjà ? Ah oui. Putain de piaf !

...

La faim est ce qui me mine le plus depuis mon réveil. Ça et les migraines que je me paie, ainsi que les orages qui se déclenchent dans mes yeux dès que j’essaie de récolter un peu de sommeil. J’avoue que je pensais m’en sortir mieux que ça, et les années de militaire sur terrain miné, qui me rendaient si fier, semblent aujourd’hui dérisoires. Elles appartiennent à un monde qui n’existe plus qu’à travers quelques têtes, quelques yeux, et ma mémoire est comme détraquée depuis la cryonie. Parfois je me rappelle de tout, parfois de rien, parfois un voile se glisse sur mes souvenirs les plus forts, me donnant l’impression qu’ils ne sont pas à moi, ou pire, que je les ai fabriqués de toutes pièces pour me donner bonne conscience, me soulager, m’apaiser.

J’appréhende les contacts humains, pourtant très rares, et ceux avec les animaux sont à 90% des rapports de prédation, dans un sens ou dans l’autre d'ailleurs... Ça m’est arrivé de manquer de finir cuit à l’acide par une plante carnivore digne d’un JDR, de quoi me donner encore plus l’occasion de me méfier des végétaux. Et puis au milieu du vacarme de la jungle – y a qu’à bien écouter, c’est un sacré bordel de bruissements, de cris de bestioles et d’arbres qui dansent là-dedans – j’ai soudain eu envie d’une mélodie bien humaine. Des notes se sont assemblées dans mon esprit et ont rejoué des airs perdus que je me suis mis à fredonner. Mal. Je chante mal. J’ai jamais eu l’oreille musicale ou quoi que ce soit du genre. Même la meilleure appli’ de reconnaissance vocale ne saurait pas identifier les trucs que je "memeume" de ma grosse voix éraillée et bancale.
Mais ça fait un drôle de bien.

Jusqu’à ce qu’à ma mélodie se joigne une autre.

Je baisse les yeux et en deux secondes je capte le petit piaf à terre qui siffle et hoche sa minuscule tête rouge dans ma direction. Il a une aile pétée. A la broche, il sera sûrement très bon, même si ça ne constituera que deux ou trois bouchées, pas plus. Le must, c'est que j’ai de quoi l’assaisonner grâce à un troc récent ! On dirait qu’il saisit que le fil de mes pensées le rapproche d’une fin inéluctable, parce qu’il signe et persiste à base de vocalises du démon. Et ça chantonne et ça chantonne. Nan mais oh ! C’est bien beau mais j’ai la dalle putain de bordel de piaf… Cependant plus il chante, plus je le regarde, et plus je le regarde, plus sa petite tête me paraît… Merde quoi ! J’allais vraiment dire « MIGNONNE » ?!

Une énorme tarentule bariolée quitte un trou tout proche et fonce sur le zozio comme pour précipiter mon renoncement, et je balaie le truc à huit pattes poilues avec la pelle militaire que j’ai tendance à un peu trop considérer comme une arme depuis qu’on m’a refait le portrait dans un campement pas très accueillant. Le piaf en poche, je me mets en quête d’un coin à l’abri de toute cette faune sur-agitée aux airs de Jurassic Park.

...

Et c’est comme ça que c’est devenu ma pote. Il en faut peu hein. Dites ce que vous voulez sur ma manière de choisir mes amis, je m'en tape le cul dans les fougères.
Kochanie, enfin je l’appelle surtout Koko la plupart du temps, c'est ma pote. J’ai soigné son aile et elle partage ma bouffe comme un animal domestique. De nous deux c’était surtout elle qui avait besoin de moi au jour de notre rencontre, mais finalement je me suis habitué à ses jérémiades de volatile, et elle sait parfaitement que je ne peux plus lui jeter de trucs de bipède irascible quand elle s’envole trop haut en gazouillant. Elle repère des points d’eau potable ou des grands arbres creux pour dormir, elle sait aussi où se trouvent les nids d’espèces dangereuses pour la sienne et donc, nous les évitons. Bref, je m’y retrouve, dans cette…relation – qu’est-ce que je raconte… - de donnant-donnant.

Ce qu’il y a de cool aussi avec Kochanie, c’est qu’à la faveur de la nuit tombée, quand j’allume le feu de camp alors que la canopée a déjà verrouillé le ciel et la lumière avec, elle chante et raconte des histoires, comme une clé USB volante, ou pour les plus anciens d’entre nous : comme un Juke Box. Pour les migraines, c’est pas mal, et pour les angoisses nocturnes aussi.

C’est con, j’ai toujours recherché la solitude dans ma vie d’avant, comme une caractéristique que je voulais inhérente à ma personne ; qu’on me définisse comme un solitaire, comme si c’était quelque chose de valeureux, quelque chose qui me rendait spécial et que, dans le fond, j’aimais aussi. Maintenant je sais que c’était un luxe, parce que j’étais précisément entouré de tout un tas de gens que j’aimais et qui m'aimaient. Mariam, Poli, Zofia…Anita.
J’étais seul et je ne l’étais jamais.
Aujourd’hui la solitude me dérange. Elle ne me fait pas peur mais génère une sensation d’inconfort dans ma poitrine, fait naître des espaces gris dans mon esprit. Alors dès que je rencontre quelqu’un, j’essaie d’être aimable, j’essaie de donner du sens à ma présence ici, parce que tout seul je ne vais faire que survivre, et j’aimerais peut-être essayer de construire quelque chose. C’est ce que tout le monde aimerait.

Merci Koko pour cet égarement philosophique.

Merci Koko, l’oiseau rouge à crête dont je ne connais pas l'espèce...
Mais ça manque cruellement de vodka dans ce nouveau monde pour noyer toute cette connerie. Kurwa* !


L'abeille seule ne fait pas de miel [Maggie] Efe5f910
Kochanie, alias Koko.


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*"Putain", en Polonais.


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L'amour est comme le blé, le germe de notre force.
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Dorota
❀ Aconit
Dorota
Dorota
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Mer 20 Déc - 20:41
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