Je marchais au milieu de ce lieu désolé. L'enfer. Voilà ce qu'il m'évoquait. L'incarnation de la désolation suprême. Il n'y avait pas âme qui vive. Ici et là, la végétation s'évertuait à reprendre sa place, brisant avec patience la couche de magma charbonneuse qui couvrait l'entièreté du paysage. J'étais si absorbé par la découverte de ce nouvel environnement que je ne vis pas la silhouette encapuchonnée qui m'observait depuis un moment. Ce ne fut que lorsqu'elle se saisit de ma main que je sursautais et la dévisageais, stupéfait de ne pas l'avoir entendu approcher.

- Qui es-tu ? Chuchotais-je à son intention, encore choqué de sa présence irréelle au milieu de ce champ de ruines ténébreuses.

- Noir Désir.

- Ce n'est pas un nom ça...

Elle entrelaça ses doigts brûlants aux miens, glacés, et défit la fibule qui retenait le vêtement. Sous mes yeux ébahis, son corps se dévoila. Ses membres allongés, ses rondeurs féminines, ses fossettes innocentes, son visage, comment était-ce possible ?

- Qu'est-ce que tu es ?! M'exclamais-je d'une voix blanche, pâle comme la mort.

- Noir Désir.

Un cauchemar, un spectre ramené de l'au-delà, une chimère, voilà ce que cette chose était ! Mes mains tremblaient, mes jambes menaçaient de céder sous mon poids, ma respiration hachée s'étouffait dans ma gorge. Ce ne pouvait être que mon esprit qui me jouait des tours !

- Tu n'es pas réelle !

Ma voix retrouvait un peu de force, armée d'une colère amère qui faisait bouillir mon sang. Ce tour de passe-passe ne m'amusait pas. Cette chose n'avait pas le droit de prendre son visage. Il était à moi. Rien qu'à moi ! Je l'avais pris ! Il m'appartenait pour toujours !

Je m'arrachais à son emprise d'un geste brusque et mes doigts agrippèrent sa gorge. Le sourire charnel de l'illusion disparut et elle fit un pas en arrière, resserrant mon étreinte sur sa peau si douce. Ah, je pouvais sentir cette odeur entêtante de vanille qu'elle traînait partout. La bile me montait à la gorge, brûlante. Acide.

- Je t'ai tuée, sifflais-je entre mes dents, fou de rage désormais.

Un sourire peiné contamina ses yeux d'un bleu outrageant. Cette expression de pitié acheva de me faire perdre pied. La pression sous mes doigts s'accentua, je me préparais déjà à entendre ce craquement caractéristique du point de non-retour. Mon esprit se délectait de cette sensation, celle de tenir la vie entre mes mains. Je revivais l'apothéose de son ultime soupir.

- Tu n'as pas changé.

Un crac retentissant ponctua sa phrase. Ma vision s'obscurcit soudainement. Je me sentis tomber, incapable de réagir, poupée de chiffon. Je ne parvenais pas à comprendre ce qui venait de se passer. J'avais un avantage complet sur cette chose, alors comment ? Un homme me contourna à cet instant pour venir se placer à son côté en soufflant paisiblement :

- Voilà. Tu as ta vengeance et l'assurance qu'il ne fera jamais plus de mal à quiconque. Est-ce que tu es satisfaite ?

- J'ai pris une vie, comment pourrais-je l'être ? Après tous ces efforts pour gagner le droit de le revoir... Je ne vaux finalement pas mieux que ce monstre. Partons, entendis-je la vengeresse murmurer à son acolyte, nous n'avons plus rien à faire ici. Laissons-le attendre la mort au milieu des fantômes de sa première vie.

Les sons restaient bloqués dans ma gorge. Mes jambes, mes bras, définitivement cloués au sol. Il fallait bien payer. Payer pour toutes les vies que j'avais volées impunément. Je n'étais pas mort, mais plus tout à fait vivant. Une âme en sursis. Combien de temps me faudrait-il pour mourir ? Une heure ? Un jour ? Une éternité intenable pour pénitence.