“
Quand tu fais des cauchemars, tu n’as qu’à te réveiller, ma fille. C’est pas bien compliqué. Tu regardes autour de toi, tu te mets une petite claque, et hop, tu seras dans ton lit. Attention, ça a l’air difficile. Mais vraiment, c’est pas si dur, ma fille.”
C’est pas si dur. C’est pas si dur. Elle ouvrit un oeil. Doré, profond. Elle les avait gardé fermé depuis la dernière injection, l’ouverture de sa capsule sur un monde nouveau. Comme si ça allait changer la vue, qu’elle les rouvrirai sur sa chambre, ses feuilles. Mais à la place, c’était une sorte de grotte qui l’entourait. Les parois étaient humides, et dégageaient une forte odeur de moisissure qui la projeta loin, très loin dans le passée, dans un grenier mal aéré d’une vieille maison de campagne qui ne lui appartenait pas. C’était curieusement écoeurant, cette odeur, au réveil. Son estomac se serrait, et elle commença à lutter avec une nausée viscérale alors que ses yeux fraîchement réchauffé s’adaptait encore à la faible luminosité.
Pourquoi la pièce était bleue? Elle plissait ses iris dans un effort félin pour mieux distinguer ses alentours immédiats. Quelle galère, n’empêche. Il n’y a pas quelques heures, elle écoutait encore une blonde à l’accent américain révoltant lui expliquer qu’ils seraient placés quelque part en amérique du sud. C’était plutôt une bonne nouvelle. Après tout, la plupart des plantes qu’elle adorait venait de là. Donc ça ne pouvait être qu’une bonne nouvelle. C’était sa vaine, ça. Se retrouver dans une grotte miteuse et couverte de champignons plutôt que dans un bureau ou un bunker, c’était quelque chose.
Doucement, Basile se laissa tomber au sol, tombant sur ses fesses engourdies, ses jambes rabougries suivant peu après pour se heurter à la surface dure du sol. Elle n’avait pas besoin de le voir pour sentir la poussière. Tout sentait la poussière, ici. Et comme ça, à même le sol, elle voyait enfin un moment pour faire le point, bercée par les lumières tamisées des murs bleus, et les clignotements réguliers de la cabine.
La suite des évènements ne faisait guère de sens dans son esprit lourd. Il y a quelques heures à peine, elle était encore dans un bureau. On lui répétait milles informations sur la survie, sur les premières choses à faire au réveil. Sur le monde qu’elle retrouverait. D’ailleurs, quelle monde retrouverait-elle? Certainement pas ce qu’elle avait quitté. Plus de Paris, plus de familles. Plus rien de ce monde connu qui l’avait vu grandir. Juste le goût de l’asphalte chaud et du goudron après la pluie, la lointaine lueur du feu rouge au carrefour, et le petit trèfle qui pousse à travers le pavé.
Machinalement, elle chercha dans sa poche pour trouver une clope, et fut presque surprise en constatant qu’elles n’étaient pas là - seulement pour se rappeler que ses effets personnels avaient été mis à l’écart dans sa capsule pour échapper au froid. En agitant ses neurones encore froid, elle se redressa, recherche dans sa tanière pour finir par déterrer un sac en plastique hermétique, fermé par un petit zipper bleu. Habile, comme camouflage. Ses lèvres épaisses se serrèrent. Pourvu que…
Comme une bête en manque, elle ouvrit nerveusement le trésor pour attraper le carton de Marlborrow encore fermé. Quelle panique. Ca non plus, il n’y en aurait plus. Plus de clopes, plus de vins. Plus de soirée d’ivresse au coin d’une banquette moite, dans un aquarium de toutes sortes de vapeurs lourdes et sucrées. C’était pas un mal, après tout. Mieux pour la santé sans doute. Mais les mauvaises habitudes ont la vie dure, et quand on a choisi son poison, il était difficile de s’en défaire. Elle ouvrit le carton encore hermétiquement fermé, répandant sous ses narines l’odeur du tabac sec qu’elle inspira comme un grand cru. Sa mère, qu’elle en avait besoin.
Avec dédain, elle compta les petits tubes de tabac. Que vingt clopes… Peut-être les dernières de l’humanité. Merde… C’était maigre pour se sevrer. Avec un peu de chance, elle tomberait sur du tabac sauvage - enfin, si l’espèce avait survécu. Et elle pourrait peut-être relancer la production, au moins pour elle… Un sourire aigre éclaira son visage basané. Des siècles de sommeil, et c’était ça, sa première préoccupation. Foutue droguée, c’était ridicule. Mais ça ne l’empêcha pas de coincer le tube dans le coin de ses lèvres, savourant le goût herbeux et goudronné comme si elle retrouvait une vieille copine.
Elle tendit la main vers la pochette en plastique et… Merde. Mais c’est qu’elle avait oublié son briquet! Comme la dernière des bleus!
Saloperie. Dans l’abattement, elle se laissa glisser sur le sol une nouvelle fois, massant systématiquement ses tempes avec ses pouces. Faire les choses à moitié, c’était ça son domaine d’expertise. La botanique? Mouais, une bagatelle à côté de son esprit nul.
Elle dû bien rester quelques minutes assise ainsi, à regarder le mur l’esprit dans le vide. Au final, c’était peut-être un peu trop pour son cerveau qui se réveillait à peine. Des émotions en pagaille qu’on jetait sur les murs, le colorant de mille couleurs chaotiques qui ne faisaient pas sens. Basile était sceptique, dans tout ça. Pas vraiment heureuse, pas vraiment bien. Rien, en fait. Juste une meuf blasée, assise contre une capsule de cryogénie, une clope éteinte au bec à aspirer de long filet d’air à travers elle pour pouvoir bénéficier d’un ersatz de goût frais, d’une bribe de nicotine. Merde, faudra bien qu’elle se sevre.
Un bruit la tira de sa torpeur. Elle n’était pas seule. C’est seulement là qu’elle regarda les autres capsule, qu’elle réalisa seulement son existence. Elle s’était tellement projetée dans la solitude qu’elle en avait oublié que le programme était multiple. Elle détailla les autres lits. La majorité était vide… Elle était tardive, à se réveiller. Merde, ça lui creusa de nouveau le ventre. L’idée d’arriver au milieu de la fête ne l’enchantait guère. Elle regarda un instant la sortie. Quel monde retrouverait elle? Froid, hostile, verdoyant, brûlé? L’appréhension faisait monter la pression. Elle avait mal, la nausée. Mais bon. Mieux valait arracher le sparadraps. Et… Elle avait vraiment besoin de feu.
Lentement, elle se releva, appropacha vers quoique ce soit qu’il y avait après la porte. L’idée d’un briquet l’enchantait plus qu’un nouveau monde, à présent. Et quand elle approcha d’une source de lumière, qu’elle cru entendre un nouveau bruit, elle s’annonça d’un timide:
“
Euh… Salut?” qui brisa le silence et le court de ses pensées qui n’avait plus aucun contrôle.
Au pire, elle n’aurait qu’à se mettre une petite claque. Et hop, elle serait dans son lit.