Ses longs mois de marche avaient permis à Junko de conserver sa forme physique, et même de gagner en endurance. Pendant ses journées d’exploration, elle n’avait cessé d’avancer et de voir de nouveaux paysages, passant de la jungle à la plage, des ruines de l’ancien monde aux steppes sauvages. Avait-elle aimé ses intrépides instants de liberté ? Bien entendu. Mais elle devait avouer qu’il y avait quelque chose de réconfortant à avoir un endroit “où rentrer chez soi”, un endroit où elle pouvait être en sécurité et penser un peu à la suite. Cartographier les lieux avait une réelle utilité, mais elle ne pouvait pas faire que ça de sa vie. Il fallait penser collectivement désormais.
Et pour cela, le camp qu’avait commencé à créer Akara avant qu’elle ne la rejoigne était sincèrement un lieu parfait. Il y avait toutes les commodités de base: une petite cabane où elles pouvaient dormir, une petite réserve, un espace dédié aux ablutions et un grand feu… Et depuis peu, Junko avait commencé quelques plantations selon différentes techniques de permaculture. Elle avait entouré ses différents “carrés potagers” de bouts de bois, et observait avec application comment les plantes poussaient et quelles conditions étaient les meilleures. Comme elle s’en doutait, de la terre seule ne donnait pas des résultats optimaux. Alors que le carré “en lasagne” - elle avait créée une butte de culture en alternant des couches de pas mal de plantes fraîchement coupées à des couches de plantes mortes, et une mélange de deux en couche finale - semblait plutôt bien porter ses fruits. Le manioc et ce qui ressemblait à des haricots s’y plaisait clairement. Ses espèces de courges par contre ne prenaient pas, elle n’avait pas encore trouvé les conditions idéales pour elles.
Dans tous les cas, pour le moment, Junko était la seule dans le coin. Akara profitait de sa présence au camp pour explorer un peu elle aussi, et elle lui devait bien ça, après tout le taff qu’elle avait déjà accompli ici. De mémoire, la brunette allait passer voir Alba à son retour. Peut-être même que le fameux Callem serait là et qu’elles pourraient lui demander des techniques pour leurs propres cabanes ? Elle n’avait rien contre dormir aussi proche du sol, mais apprendre les techniques de quelqu’un qui maîtrisait aussi bien le bois ne pouvait être qu’une bonne chose. L’entraide serait la clef de la future humanité. vEn attendant, toutefois, et bien que la nuit s’approchait déjà à grands pas, elle remit du combustible dans le feu, et récupéra son arme pour aller vérifier ses pièges. Tant qu’elle était au camp, elle n’avait pas besoin de se balader avec tout son sac d’équipements, elle n’avait que les indispensables sur elle: son arbalète, quelques carreaux, et son couteau de chasse. Elle n’allait pas loin de toute façon.
Marcher dans la semi-pénombre ne lui faisait guère peur, elle savait parfaitement où elle allait après tout. Tendant l’oreille, et restant sur le qui-vive, au cas où, elle s’enfonça dans la jungle. Ses deux premiers pièges étaient vides, elle vérifia malgré tout que les collets étaient bien faits. Elle eut plus de chance au troisième, où elle acheva rapidement le gros rat qui s’y était pris. Rien dans les suivants non plus, mais des signes indiquaient que quelque chose avait bien été pris dedans… Le sauvageons qu’elles apercevaient très rapidement du coin de l’oeil peut-être ? Un autre animal était prisonnier du dernier piège, mais elle se contenta de le relâcher et de le regarder filer rapidement. Il lui était totalement inutile de tuer plus que ce qu’elle avait besoin pour manger, surtout qu’elle était seule. Certains jours, elle relâchait les trois quarts de ses prises, quand tous ses pièges avaient fonctionné. Et d’autres fois, elle se contentait de légumes. C’était un cycle normal, et elle s’en accommodait très bien.
Demain, je devrais tenter d’attraper un poisson dans la rivière… Elle se révélait étonnamment moins bien douée pour la pêche que pour la chasse, malheureusement. Peut-être qu’elle devrait tenter de trouver de quoi les appâter ? Mais avec quoi pourrait-elle…
Elle s’arrêta soudainement. Cette marque, sur cet arbre… C’était récent. L’écorce était encore au sol. Un signe de reconnaissance ? Elle plissa les yeux. D’ici, elle apercevait la lueur de leur campement. Qu’il soit visible était justement le but recherché. Mais elle n’avait pas entendu le système d’alarme se déclencher… Quelqu’un l’avait évité et aurait rejoint le foyer ? Pourquoi marquer les alentours dans ce cas ?...
Enlevant lentement le cran de sûreté de son arme, elle reprit sa route, lentement, aux aguets. Si quelqu’un voulait la surprendre, c’était raté. Mais où se trouvait donc cette fameuse personne ?... Elle ne voyait rien, alors qu’elle enjambait machinalement le dispositif d’Akara. Pourtant, il y avait bien quelqu’un dans le coin: les oiseaux qui chantaient d’ordinaires étaient tous silencieux, dérangés dans leurs habitudes par quelque chose qui les effrayait… Elle prit une grande inspiration et s’avança jusqu’au feu. Ne rien distinguer ne voulait pas dire qu’il n’y avait rien qui l’observait. Mais vu la marque sur l’arbre, elle savait que c’était un humain, et non pas un quelconque prédateur.
Elle posa doucement son arbalète sur le siège préféré d’Akara, pour la garder à portée de main, et montrer à son curieux voyeur qu’elle était armée, et s’accroupit pour déposer sa proie sur le sol. Puis, elle alla fouillée innocemment près de son sac, qu’elle gardait toujours prêt, s’assurant que tout était bien dedans au cas où elle devrait partir précipitamment. Rassurée, elle alla enfin dans la réserve récupérer quelques légumes, et revint finalement au niveau du feu. Ses déplacements n’avaient rien d'anodin, car ils lui permettaient de regarder discrètement aux alentours. Toujours rien. Elle mit son chaudron à moitié plein d’eau sur le feu et leva légèrement les yeux. Il y avait un petit groupe d’oiseaux dans des arbres à sa gauche, mais elle n’en détecta pas à droite. Bien.
- J’ai de quoi manger et boire, si tu en as envie, lâcha-t-elle à haute voix.
Je t’ai repérée depuis un moment, mais sache que nous ne mordons pas.Akara n’était pas là, mais l’inconnu n’avait pas besoin de le savoir, pas plus qu’elle n’avait qu’une vague idée de la direction dans laquelle il se trouvait. Tout était dans la posture et l’allure qu’elle donnait. Elle était sûre d’elle, et elle était loin d’être sans défense si on venait à l’attaquer.