Tu n’aurais jamais cru que cela arriverait un jour. Votre famille maintenant réunie au complet. Longtemps persuadé que tu devrais finir ta vie tout seul au fin fond de cette jungle qui te donnait clairement l’impression d'infinie… Tu te sentais soulagé. Beaucoup moins de terreur nocturnes ces derniers temps, sans parler des hallucinations auditives qui ont pour l’instant totalement disparues. Tu revis.

Pour autant, tu restes assez inquiet. Avec ce tremblement de terre qui avait causé le réveil prématuré d'Hécate, ton second père, vous aviez eu très peur.

Incapables pour le moment de parcourir de trop grandes distances, tu as proposé d'explorer les environs. Cela vous permettrais de savoir ce qui vous attendrez dans les jours à venir, dans quelle direction aller et en même temps, récolter des ressources pour vous maintenir en vie. Maintenant réunis, il ne fallait perdre personne.

Parti à l’aube ce matin, il s'agissait d'une vieille habitude qui était restée de quand tu errais encore seul. Ainsi, certain de rentrer avant la nuit tombée, tu ne risquerais rien. En plus, tu pouvais éviter de rencontrer des bestioles qui auraient muté. Ainsi, vers l’heure de midi, tu avais parcouru une bonne dizaine de kilomètres sans pour autant avoir trouvé de ressources incroyable.

A vrai dire, tu cherchais une plante en particulier : celle qui permettrait à ton père de se remettre entièrement sur pieds. Tu avais trouvé son nom et son visuel dans ton bouquin de survie mais jusqu’à maintenant, pas moyen de mettre la main dessus.

Et après de longues heures de marche pas forcément agréable, hachette de fortune à la main pour te frayer un passage, tu finis par tomber sur ton graal. Tu t’en approches, et là... Tu sursautes en croisant le regard d’une inconnue à quelques pas de toi.

« Putain de merde ! »

Il ne s'agissait pas de la première personne que tu croisais depuis ton réveil. Mais toutes les autres fois, tu avais toujours trouvé le moyen de ne pas te faire voir, ou très peu de temps. Tu savais qu'il y avait d'autres personnes sur cette nouvelle Terre, mais ton côté social restait très peu développé. Allez savoir pourquoi.

Tu la regardes à deux fois avant de te détourner pour te reconcentrer sur l’origine de ta précipitation, cette fameuse plante qui devrait aider Hécate à se remettre de tout ses maux.

Cela faisait environ deux semaines qu’Aelys avait ouvert les yeux sur ce nouveau monde. Si au début elle s’était sentie perdue, seule et désespérée, elle avait fini par reprendre du poil de la bête. Elle savait qu’elle n’était pas la seule survivante, elle en avait croisé une autre.  En revanche, ils ne devaient pas être nombreux puisqu’elle n’avait croisé personne d’autre. A moins qu’ils se soient regroupés ailleurs ? Peu importe au final, la solitude avait du bon, elle avait la paix pour faire sa petite vie et n’avait pas à s’interroger sur les intentions et la fiabilité des autres. Parce qu’au fond, malgré son extinction longtemps auparavant, il n’y avait aucune raison pour que l’espèce humaine soit mieux qu’avant.

Les premiers jours, l’herboriste avait beaucoup récolté, observé, comparé… Puis le temps était venu d’expérimenter. Elle connaissait peu de plantes létales à faible dose, donc elle avait pris le risque de tester sur elle-même. Ce ne serait pas forcément sans conséquences, encore moins un moment agréable, mais il fallait bien essayer d’une manière ou d’une autre. Étant droitière, elle opta pour le bras gauche. Elle prit un coup de soleil sur une petite partie, se fit une plaie sur une autre, et y appliqua divers onguent à base de plantes qu’elle connaissait, histoire de voir si leurs propriétés avaient changées. Le résultat s’avéra variable, de très positif à franchement catastrophique. Mais tant que la blonde était vivante, il fallait continuer, survivre sans connaître les plantes du coin serait trop compliqué. Pour cela, il était temps de retourner récolter.

Descendre depuis sa tanière jusque dans la jungle lui prenait environ trois heures de marche. La jeune femme partait donc aux premières lueurs du jour et rentrait souvent la nuit tombée, dans le pire des cas elle improvisait une nuit à la belle étoile mais préférait éviter. C’est donc d’un pas décidé et actif qu’elle avait fait la route qu’elle commençait à connaître jusqu’à ce bout de jungle où elle trouvait toute sorte de plantes. Autour de midi, son sac s’était bien rempli. Elle pensait trouver un coin où s’installer pour manger un bout quand son pied glissa et qu’elle tomba à la renverse, se vautrant lamentablement. En grognant la médecin se releva, toute endolorie.

Après quelques pas, une sensation le long de son bras la perturba, quelque chose glissait. Un regard lui suffit pour comprendre : en tombant elle s’était ouvert le haut du bras, à l’arrière. Un soupir lui échappa, c’était bien le moment de se blesser et de risquer une infection ! Puis elle se souvint que son bras gauche était un bon sujet de test, et que ça n’en ferait qu’un de plus.

Posant son sac contre un arbre, la blonde s’assit pour constater les dégâts. La plaie était profonde et saignait un peu trop pour qu’elle ne s’en inquiète pas. Après l’avoir rincée, elle se rendit à l’évidence : il lui faudrait des points de suture. Mais comment faire une couture propre d’un truc que l’on voit seulement en se contorsionnant ? Cette histoire allait encore s’avérer pénible.

La jeune femme songeait qu’il serait plus simple de cautériser quand elle entendit du bruit. Un rouquin sorti des buissons, il ne semblait pas l’avoir vue. Étonnant qu’avec une peau si vulnérable aux UV il ne soit pas encore avec la chair à vif… Un juron échappa à poil de carottes quand il la remarqua enfin. Certes elle n’était pas parée de ses plus beaux atours mais elle ne méritait pas cet air choqué. Et voilà qu’il se barrait sans même s’excuser ou proposer son aide. Non vraiment l’humanité était toujours à chier.

Poil de carottes semblait s’intéresser à une plante et tendre la main pour ramasser cette dernière. Aelys avisa un bâton assez long, s’en saisit et lui assena un coup sec sur les doigts.

“- Touches pas à ça.”

Son ton était aussi sec que le coup qu’il avait pris, naturellement autoritaire.

“- C’est sûrement pas la plante que tu penses.”

Elle t’avait fait peur, la blonde, dissimulée comme ça dans les bosquets. On a pas idée, franchement. Alors oui, tu avais fais l’égoïste et tu ne t’étais pas arrêté pour lui parler. Ça fait un moment que tu vis seul, et tu ne t’en plains pas. Ça a forcément plein d’avantages… Dont celui de ne pas être embêté par un autre être vivant doté d’un cerveau. Tu étais là dans un but particulier et ce n’était pas celui de te faire des amis. Sans compter que déjà avant la cryogénisation, tu n’étais pas vraiment doué pour t’en faire. Alors maintenant…

Dans ton livre de survie, tu avais noté l’existence d’une plante capable de soigner divers maux. Incertain de ce qui troublait réellement Hécate depuis son réveil, tu te disais que cette dernière ne pouvait pas faire de mal si tu parvenais à mettre la main dessus pour en faire une tisane ou autre.

Alors quand elle était enfin apparue devant toi, tu avais soufflé de soulagement. Peut-être arriverais tu à rentrer avant la nuit ? Rien n’était moins certain. En tendant les doigts, tu t’étais fais sauvagement tapé dessus par une branche… tenue par la blonde.

« Aïe ! Mais qu’est ce que tu veux ?! »

Fronçant les sourcils en la regardant, tu te frottes la main tandis qu’elle te parle. Pour qui elle te prend, celle là ?

« Je sais ce que je cherche, figure toi. Et c’est cette plante. Longue tige, fleurs blanches. C’est celle là. »

Tu sors même ton petit livre de ton sac pour vérifier. Tu cherches la page pour la montrer à la jeune femme.

« Là. J’suis pas miro ! »

Coté sociabilisation et capacité à parler avec les autres, on repassera. C’est en la regardant plus sérieusement que ton regard s’était posé sur son bras suintant d’un rouge inquiétant. Remontant les yeux vers elle, tu grimaces.

« Ça a l’air sérieux ta blessure là. »

Non, jure. T’as pas mieux comme réplique ?

Et voilà qu’il couine comme un enfant à qui on vient de taper sur les doigts. Il a l’air sûr de lui le rouquin, il déballe son exposé sur la plante comme s’il l’avait appris par cœur. Sa réaction arrache un sourire sarcastique à la blonde qui du bout du bâton déterre une racine.

“- Et racine blanche. Regarde mieux.”


Dans le livre la plante a les racines blanches, mais celles qu’elle vient de déterrer les a rougeâtres. La différence est mince mais visible.

“- La botanique c’est subtil gamin.”

Car pour elle c’est ce qu’il est : un gamin. Certes il a l’air jeune, mais c’est plus sa façon d’être qui lui donne cette impression. Il semble d’ailleurs intrigué par le bras de la blonde. Cette dernière revient comprimé sa plaie de sa main déjà bien tâchée de sang. Au commentaire du jeune homme, elle ricane un peu.

“- Quoi, t’as un bouquin de médecine aussi pour avoir un diagnostic aussi efficace ? Bien joué Sherlock.”

Elle n’a pas pu retenir ce trait de sarcasme. Probablement une habitude qu’elle a hérité d’Amanda. Faut dire que l’attitude si sûre de lui du rouquin lui donne envie de le faire redescendre sur terre. Ou alors être désagréable est devenu une seconde nature, qui sait ?

Aelys soupire finalement et s’adosse à nouveau contre l’arbre. Elle a mal, elle est emmerdée par cette blessure et il est probablement le seul humain à des kilomètres à la ronde. C’est peut être pas le moment de faire la fine bouche. S’il se barre, elle sera comme une idiote à devoir se démerder pour ses soins.

“- Ecoute, je te propose quelque chose. J’ai besoin de points de suture, j’ai tout ce qu’il faut pour le faire mais c’est trop difficile d’accès pour que je le fasse seule. Toi, tu ne veux certainement pas tester la plante que tu viens de trouver. Je l’ai essayée, j’ai vomi mes tripes pendant 24h. Mais je sais où trouver celle que tu veux. Donc, je t’expliques comment on fait, tu recouds ma plaie et je te dis où trouver ta plante. T’es doublement gagnant, t’auras ce que t’es venu chercher et un cours de premier secours bien utile.”

La médecin le regarde, calme et franche, elle a laissé tomber son air sarcastique cette fois pour une expression plus sérieuse, presque avenante.

Elle te prend de court, la blonde, quand elle te dit de faire attention à tous les détails concernant cette plante que tu cherchais depuis des heures et que tu pensais avoir enfin trouvé. Et c’est qu’elle te prend de haut en plus, en t’appelant « gamin ». Haussant un sourcil, tu vérifies quand même comme un idiot dans ton bouquin avant de constater qu’elle avait vraiment raison.

Bordel.

« Ouais bah ça va. »

Touché dans ton égo, tu fronces les sourcils en envoyant balader la fameuse plante décevante, avant de reposer ton regard sur elle. C’est là que tu te rends compte que la jeune femme n’est clairement pas dans le meilleur des états.

Et allez, encore une remarque quand tu lui en fais part. C’est quoi cette fille sérieusement ?

« Ecoute si t’as l’air au courant... »

Tu vas pour te relever en ramassant tes affaires. Ce ne serait pas dans tes habitudes et encore moins dans tes mœurs d’abandonner quelqu’un comme ça. Tes parents seraient même très certainement en colère de l’apprendre. C’est peut-être ce qui te fait rester finalement. Même si la blonde est quand même grandement désagréable.

Pourtant tu l’écoutes quand elle te dit qu’elle a quelque chose à te proposer. Sac sur le dos, tu la regardes sans bouger en plissant légèrement les yeux face à la proposition qu’elle te fait. Des points de suture ? Tu n’étais clairement pas doué pour faire ça. Pour ainsi dire, tu ne l’as jamais fait. Mais elle a l’air sérieuse, quand elle te dit qu’elle a testé la plante. Et tu te vois très mal ramener celle ci à Hécate et te rendre compte que ça le met encore plus mal qu’il ne l’est déjà.
Alors il ne te faut pas trop longtemps avant de décider et reposer finalement ton sac sur le sol, près d’elle.

« Ok par contre j’ai jamais fait ça. Vraiment jamais. J’ai même jamais cousu quoi que ce soit. »

Peut être la bache lors d’une tempête mais ça n’a jamais donné quelque chose de fameux. Surtout quand on voit la tronche de votre campement en ce moment.

« Par contre j’espère vraiment que tu tiendras parole. J’ai vraiment besoin de cette plante pour mon père. »

Tu la regarde, le plus sérieux du monde, avant de prendre ta gourde dans ton sac pour te laver un tant soit peu les mains. Si tu n’as pas beaucoup de connaissance dans le domaine, le fait d’avoir les mains propres ne te paraît pas déconnant pour autant.

« Allez dis moi. J’suis prêt. »

Il semble sur le point de partir, faut dire qu’avec ce qu’il a pris dans la truffe il y a de quoi prendre la mouche. La médecin a bien fait de prendre sur elle pour lui proposer ce marché, sinon c’était la contorsion ou les points à l’aveugle. La voilà donc qui ouvre son sac pour sortir une boîte, de là elle prend une aiguille courbe dont le fil sombre est déjà monté dessus.

“- Tiens, idéalement faudrait la passer à la flamme vu qu’elle doit plus être stérile mais j’ai pas de quoi allumer un feu là…”

S’il a de quoi faire, elle le laissera faire, sinon tant pis. Elle se tourne dos à lui pour qu’il voit bien la plaie. Elle rince un coup avec sa gourde et de sa main valide rapproche les bords de la coupure.

“- Tu vas devoir faire quatre points, ici, ici, là et le dernier où j’ai mon doigt.”

Elle lui indique à tâton les emplacements pour que ce soit répartis de manière équivalente le long de la plaie.

“- Faut piquer pour bien prendre toute l’épaisseur de la peau, si tu prends que la couche du dessus ça va se déchirer… Tu piques d’un côté, tu ressors de l'autre et tu fais un nœud, serré mais pas trop, faut que les bords se touchent.”

Elle le regarde par-dessus son épaule.

“- C’est bon pour toi, tu es prêt ? Et je vais tenir parole. J’veux dire, je te laisse littéralement planter un truc dans ma peau alors qu’on se connaît pas, ce serait con de chercher à te rouler alors que tu vas littéralement tripatouiller dans ma plaie… Jamais faire chier la personne qui te soigne, c’est la règle.”

Pas pendant qu’elle te soigne en tout cas, mais ça c’est une autre histoire. Dans sa vie d’avant c’était un principe qui était bien appliqué. La jeune femme avait beau soigner des gens très peu fréquentables, la plupart se montraient sympathiques avec elle, ou au minimum courtois. Cette forme de respect ne venait pas tant du fait qu’elle couchait avec leur patronne que de la qualité de ses soins et de l’absence de questions. Ils étaient tous bien contents d’avoir un médecin dans la pègre et de ne pas avoir à passer par la case hôpital, bien moins discrète.

Elle le laisse se mettre au travail et lui donne des indications au besoin. Pour se concentrer sur autre chose, elle lui fait la conversation.

“- La plante que tu veux, c’est pour ton père ? Il a quoi ?”

Son professionnalisme ressort avec son désir d’aider. Depuis combien de temps n’a-t-elle pas exercé “normalement” ? Par “normalement” elle entend sur des civils et dans le but de les soigner et pas en leur vendant un cocktail de plantes pour quitter l’apocalypse sans douleurs… Parfois elle se demande quand la médecin a disparu au profit d’une assassin… Certes, ses victimes étaient toutes consentantes, il n’empêche qu’avant son long sommeil elle avait aidé plus de gens à en finir qu’à s’en sortir…

A aucun moment tu avais prévu d’être aussi sociable, encore moins avec une pure inconnue comme ça. Pour autant, tu n’as jamais eu pour principe de laisser quelqu’un dans la merde, quand bien même cela te mette assez mal à l’aise. Merci au confinement et à ton manque de sociabilisation lorsque tu étais plus jeune. Sans compter sur ces dernières années passées seul. Tout cela n’a clairement pas aidé.

Bien que tu ne sois pas spécialement à l’aise avec l’idée de planter l’aiguille dans sa peau, tu l’écoutes simplement t’expliquer ce que tu vas devoir faire, tout en reposant ton sac sur le côté pour commencer à faire un feu de fortune, utile simplement pour rendre l’aiguille un peu plus propre.

Ce qui est certain, c’est que tu n’as pas envie que sa plaie s’infecte. Même si tu ne la connais pas et qu’elle n’a pas été des plus agréables au début, tu restes quelqu’un de gentil, dans le fond. Tu te laves donc le mieux possible les mains tout en essayant de visualiser plus ou moins où tu vas mettre tes points pour faire ça le mieux possible.

« D'accord. J’suis désolé si j’te fais mal ok ? J’vais faire au mieux. »

D’un côté, peut être que si elle criait assez fort, cela alerterait tes parents bien qu’ils soient à plusieurs kilomètres d’ici. Quoi ? C’est beau d’espérer, non ? Après tout, tes parents seraient peut-être plus à l’aise pour transpercer la peau de quelqu’un… Ou pas. A bien y réfléchir, à part peut-être Hécate… Nyx et toi n’étaient clairement pas les plus doux de l’univers.

En prenant une grande inspiration, tu te lances enfin pour planter ton aiguille assez profondément, comme elle t’avait dit de le faire. Tu fronces les sourcils et te concentre un maximum pour faire ressortir l’aiguille de l’autre côté et faire un joli nœud.

« Et de un. »

Tu es plutôt fier, et tellement concentré que tu n’avais pas pris le temps de répondre aux questions de la blonde.

« Ca va ? »

Lui lançant un regard quelque peu inquiet à l’idée d’avoir mal fait ou d’avoir tout simplement fait mal, tu te remets quand même à la tache pour que le moment soit le moins long possible et donc le moins désagréable pour elle.

« Mon père… Ouais, il s’est réveillé il y a quelques jours et il y a eu ce tremblement de terre… »

En même temps, tu perces pour faire le deuxième point, à peine plus loin que le premier.

« On mettait la majorité de nos ressources dans la grotte qui accueillait notre ruche et tout s’est écroulé. On a perdu une bonne partie de nos affaires… Et mon père s’est réveillé à ce moment là. C’était brutal comme réveil. Je le sens un peu mal en point même s’il dit le contraire. J’aurai aimé trouver cette plante pour bien le remettre sur pied avec une infusion ou quelque chose dans le genre... »

Est ce que tu es vraiment intelligent de donner autant d’information sur toi et ta famille ? Qui sait, peut-être a-t-elle des compagnons beaucoup plus nombreux et beaucoup plus forts que vous trois réunis. Qu’est ce qui viendrait à se passer s’ils vous trouvaient ?

Ta paranoïa est vraiment sans faille.

« Mh… J’ai terminé le deuxième point, j’attaque le troisième ou tu veux souffler un peu? »

Aelys sent que son infirmier improvisé est nerveux, tant au ton de sa voix, à sa respiration rapide qu’à ses mains légèrement tremblantes. Loin de l'inquiéter, ce constat lui arrache un sourire, ça lui rappelle la première fois qu’elle a dû faire des points de suture à un homme d’Amanda. Elle n’avait pas arrêté de s’excuser, les larmes aux yeux… Visiblement le rouquin s’en tirait de manière un peu plus glorieuse jusque-là. La sensation de l'aiguille dans sa chair ne lui arrache aucune réaction ni aucune plainte. Elle a l’habitude des aiguilles et s’inflige des douleurs pire pour ses expériences. De plus, sa plaie la lance déjà, un peu plus ou un peu moins ne change pas grand chose. Le voilà qui termine son premier point. Délicatement elle vient toucher pour se faire une idée, à tâtons, de son travail.

“- Bien, continue comme ça !”

La médecin sourit un peu, l’encourageant à poursuivre. Elle écoute son récit, c’est bien qu’il soit concentré sur ce qu’il fait mais un peu distrait par autre chose, ça lui évitera de trop stresser. L’herboriste se remémore les particularités de la plante en lui laissant le soin de lui raconter un peu son histoire. Ils sont donc toute une famille à avoir fait le grand saut. Une chance d’affronter ça ensemble, enfin elle suppose. La notion de famille est assez abstraite pour elle, jamais elle n’a imaginé revoir ses parents, encore moins affronter cette nouvelle vie avec eux. Après tout, ils n’ont jamais été très présents. C’est la question sur les points qui la tire de ses réflexions.

“- Non non, termine, ça va. Je n’ai pas mal, enfin pas vraiment. T’en fais pas j’ai l’habitude des aiguilles.”

Elle annonce ça calmement, ne précisant pas que dans son cas c’était rarement dans l’objectif de faire des points de suture. Bien sûr que le passage de l’aiguille et du fil est plus douloureux que quand elle se piquait, mais comparé à ce qu’elle a sur le bras gauche, ça va. Elle ne bouge pas et le laisse travailler, patiente.

“- C’est une bonne idée cette plante, mais si tu la fais infuser à chaud elle ne servira pas à grand chose. Le principe actif qui t’intéresse craint la température, tu vas le neutraliser en grande partie en le faisant bouillir. Je te conseille d’écraser les feuilles dans de l’eau froide. En les réduisant en bouillie, ça infusera plus vite même si l’eau n’est pas chauffée. Le goût n’est pas terrible mais mélangé à de la menthe sauvage ça peut devenir buvable voir bon.”

Elle le laisse terminer puis passe ses doigts sur les points avant de se contorsionner pour regarder. C’est pas parfait mais loin d’être mal pour du travail de néophyte.

“- Hey mais c’est que t’es pas mauvais en couture. Pour une première c’est du travail propre ! Tu vois ce point ? Il est juste un peu trop serré, ça tire un peu, c’est pas grave mais je préviens pour la prochaine fois.”

Elle se tourne vers lui et lui adresse un sourire en rangeant l’aiguille et en lui versant de l’eau sur les mains pour les lui nettoyer.

“- La première fois que j’ai fait des points à quelqu’un à vif j’ai pleuré de peur de lui faire mal ou de mal faire. Tu t’en es bien sorti, merci.”

Elle range ses affaires et met son sac sur son dos en se redressant.

“- Comme promis je te montre où se trouve ce que tu cherches, suis moi, on en a pour une dizaine de minutes.”