Il y avait quelque chose de changé dans la jungle.

C’était un constat que Junko se faisait depuis quelques jours. Oh, pas grand-chose, mais… Le chemin qu’elle empruntait régulièrement s’était recouvert d’une herbe bleutée en deux jours. Si cette couleur particulière était déjà bien présente avant, elle avait l’impression que c’était plus prononcé désormais. De la mousse sur les troncs aux feuilles des arbres, il lui semblait que la flore se faisait bien plus présente, même aux endroits de forts passages.

A moins que ce ne soit que son imagination… Elle serait bien partie en vadrouille, en direction de la plage où elle avait trouvé Denzel, déjà pour voir si le jeune homme était dans le coin et éventuellement lui proposer de les rejoindre, mais aussi pour voir si la « frontière » avait bougée ou non, et en avoir le coeur net. Mais le soucis était que… Akara était enceinte. Elle n’avait pas envie qu’elle se sente lésée parce qu’elle-même passait son temps à se balader. Et en même temps, plus les semaines allaient passer, plus sa comparse aurait des difficultés dans les tâches quotidiennes, et plus sa présence lui serait utile. Elle ne voulait pas laisser son amie seule dans un moment comme ça.

Alors si elle devait partir, il fallait qu’elle lui en parle rapidement, histoire de pouvoir faire un aller-retour avant que sa grossesse n’atteigne un stade plus avancé... C'est dans cet état d'esprit qu'elle rejoignait leur campement après avoir récupéré les proies de ses pièges.

C’est presque par hasard qu’elle aperçoit l’oiseau. Les oiseaux, c’est trop rapide à chasser, et trop petits pour les manger, en tout cas les plus communs dans le coin. C’est parce que, justement, il avance assez lentement qu’elle finie par le remarquer. Et au début, avec le jeu de lumière du soleil à travers les arbres, elle ne fait pas vraiment attention à ce qu’il transporte. Un… Fruit ? Elle est trop loin pour en savoir plus, et bien qu’elle plisse les yeux pour tenter de le suivre du regard, elle le perd finalement de vue dans la végétation alors qu’elle arrive au camp.

- Hey Aka’, tu as vu cet oiseau bizarre qui… Oh, on a de la visite ?

Une jolie rouquine est en effet là, accompagnée d’un lama. Son amie n’ayant pas l’air apeurée, voir même ravie de voir la nouvelle venue, elle garde son arbalète accrochée – elle a apprit à être… Moins violente et plus sociable ses derniers mois -, et sourit donc gentiment tout en posant ses proies non loin du feu.

- Bonjour, je m’appelle Junko.

Elle prend le temps de poser ses affaires, arme incluse, et s’approche ainsi du duo.

Qui appelle donc son animal de compagnie « beefsteak », à moins d’avoir un sens de l’humour assez tordu ?… Malgré elle, l’idée l’a fait sourire. Clairement pas une inconnue, vu la manière dont Alice s’adresse à sa comparse. Même si elle suppose que l’identité du fameux père aurait pu attendre un peu… Elle vient aider Akara à préparer de quoi boire, allant récupérer quelques unes de leurs baies pour qu’elles puissent grignoter en même temps, et laisse son amie raconter ses aventures. Elle connaît déjà l’histoire de son côté, mais elle n’a jamais croisé les deux hommes lors de son vadrouillage, ce qui en soit n’est guère étonnant vu la surface du continent. Elle espère néanmoins qu’elle pourra retrouver le fameux Lysandre, un jour…

En attendant, quand le sujet change, elle sait au fond d’elle-même qu’elle a déjà prise sa décision.

- J’ai un un drôle d’oiseau, comme une espèce de colibri métallique, et il tenait un fruit… Enfin, je crois, ou une graine, bien plus gros que lui en tout cas, mais je l’ai perdue en arrivant au campement.

Elle regarde Akara, puis Alice, et prend une grande inspiration :

- La bleu-ûre semble s’étendre de plus en plus chaque jour… Est-ce que c’est pareil en dehors de la jungle Alice ? La dernière fois que j’ai quitté le coin, il y avait encore une assez nette démarcation entre la partie « bleue » et la verdure ordinaire...

A l'idée qu'Alice ramène Lysandre au camp, Akara ne peut s'empêcher de sourire tout en se demandant comment il allait bien pouvoir prendre la nouvelle. Une pensée qu'elle laisse vite de côté quand ces deux amies se mettent à expliquer leurs inquiétudes sur cette bleu-ure. La brune ne s'était pas inquiétée de la situation vu que la présence omniprésente du bleu dans la jungle ne semblait pas compromettre leurs capacités à se nourrir. Mais quand elles abordent le sujet des colibris, elle croise le regard de Michel. Lui toujours aussi silencieux, son visage se change immédiatement à l'évocation des drones, exprimant une panique qu'elle ne lui a jamais connu jusqu'à aujourd'hui.
Très vite, une boule vient se loger dans le ventre rond d'Akara et sans savoir vraiment pourquoi ses yeux s'emplissent de larmes qu'elle tente de retenir du mieux qu'elle peut. *Putain d'hormones*

De base, Junko se disait que si Alice partageait les mêmes soupçons, elle proposerait à la jeune femme, bien sous tous les rapports, de rester avec Akara le temps qu’elle aille explorer un peu plus cette histoire. Mais en voyant les yeux de la brune se gorger de larmes alors qu’elle se tournait vers elle, et pensant tout naturellement que sa comparse craignait qu’elle ne l’a laisse, elle grimaça et vient passer un bras affectueux autour de ses épaules :

- Hey, ce n’est sans doute rien.. De bien grave, non ?

Selon les informations qu’elle avait glanée, les espèces de colibris étaient apparus après le tremblement de terre, mais il n’y avait rien eu de tel cette fois-ci, ce qui lui semblait déjà être un bon signe.

- Je me demande juste où toute cette bleu-ûre s’étend… Ça se voit presque à l’oeil nu, c’est assez saisissant à voir.

Elle regarde encore Akara, avant de reporter son attention sur la jolie rousse :

- J’aurais bien aimé aller voir de quoi il en retournait, mais…

Mais Akara était enceinte, ce n’était absolument pas une bonne idée de la laisser seule ici. Ou presque seule, désolée Michou, mais ce n’était pas lui qui rapportait le plus de nourriture quand même. Et sa confiance en ses capacités était toute relative...