Comprendre ? Comprendre quoi. Il a envie de lui hurler dessus, il n’y a rien à comprendre ! Parce que rien n’est compréhensible, parce que 1+1 ne fait pas deux, parce que non, et non ! Parce que si on lui dit quoi que ce soit d’autre, là, de suite, qu’on lui explique en détail n’importe quoi d’absolument simplissime, il serait incapable de l’ingérer. Merde, il serait incapable de réciter l’alphabet ! Mais il ne peut rien dire, il ne peut rien lui dire, rien crier parce que sa gorge est serrée comme si on l'étranglait. Ça fait mal, et il a un peu envie de pleurer.
Beaucoup.
Mais quelque chose en lui refuse de le faire devant son ‘cadet’. Son cadet de cinq ans son aîné maintenant. Son cadet plus petit devenu plus grand même en taille. Encore moins devant quelqu’un qui l’a insulté il y a moins de deux minutes, même si techniquement, Maggie est celui qui avait commencé à l’antagoniser pendant leurs services des années auparavant, 10 ans, 5 ans, 40 ans, qu’est-ce qu’il en sait.
Qui disait que le temps était relatif déjà ? Et bien, voici une meilleure théorie : le temps ? Clairement il n’existe plus. Voilà.

Il se laisse guider sans faire trop attention, coincé dans sa bulle de panique et sa tête trop pleine de pensées qui font les auto-tamponneuses entre elles. Si bien qu’il ne se rend même pas compte d’être assis sur le rocher. Est-ce qu’il réagit trop fort ? Est-ce que ce n’est pas un peu pathétique d’être aussi affecté ? D’autres ne le prendraient pas comme ça, si ? Non ? Joker ? Il est supposé être un maître de ses émotions, ne jamais trop en montrer, la poker face impassible et insensible. Égoïste qu’on disait. Il est passé où ce Maggie ? Depuis son pétage de plomb, il ne sait vraiment plus comment se gérer. Et bien sûr, là, faut que quelqu’un soit là. Pire, faut que Crawford soit là.

De quoi ils parlaient déjà ? Ah. Oui. Raconter ce qu’il s’est passé. Expliquer.
Il secoue la tête, il essaye de respirer sans hoqueter comme un idiot en même temps, faire sens dans son crâne. Calme, réfléchit, concentre toi, c’est rien, c’est toujours rien.

“Je sais pas ! Je.. Ils m’ont destitués, après.. Après je m’occupais de mes affaires,” pas la peine de lui dire qu’il était majoritairement au chômage, seul, et honnêtement misérable pendant deux ans, il a l’air assez faible comme ça merci. Il secoue la tête, il réfléchit trop. Il ne doit pas réfléchir.

“J’ai reçu un courrier, j’ai pensé à une blague, c’était pas une blague. Donner son corps à la science pour maximum dix ans, pour étudier la cryonie.” Il est succinct, rapide, il récite comme on récite une liste de course. Ça l’ancre un peu plus dans la réalité, le redescend un peu sur terre. Il a toujours chaud, mais n’est plus sur le point de faire une combustion instantanée.
Il se sent toujours compresser par contre, et c’est à se demander si à force de tirer sur ses manches, s’il ne va pas finir par les déchirer. “J’ai accepté, tu sais pourquoi si tu l’as fait aussi. Redémarrer, clean, payé. Mais ils devaient nous réveiller, non ? Je sais ce que j’ai signé ! ” Oui, Maggie fait partie de ces gens qui lisent les conditions d’utilisation. Et puis, quand tu fais un truc aussi risqué que de participer à une expérience scientifique, en général, que tu sois pointilleux ou pas, tu fais attention aux petites lignes. Ou alors tu es vraiment stupide.

“Je suis en état, je vais bien. J’ai juste…” Eut un gros coup de stress ? Un énorme coup de flippe ? “Oublie ça." Encore. "Dit moi.” Bien sûr que non il est en état de rien. Mais il a toujours été très fort pour faire comme si. Entre deux crises.

L'armée prépare à pas mal de trucs, mais ça empêche pas de parfois craquer. Maggie le prouve entre son pétage de plomb passé à l'armée et cette... quoi, crise de panique, peut-être ? Lysandre connaît ce genre de trucs, pas parce qu'il y est sujet mais plutôt qu'il a été pas mal formé. Il écoute Maggie et le laisse vider son sac avec son ton bien monotone. Un autre indice de son état mental à cet instant. Le brun l'observe avec un peu d'inquiétude dans son regard clair, jusqu'à grimacer un peu à la demande.

« Dit moi. »

Lui dire quoi ? Ce qu'il sait, pour le faire un peu plus paniquer sur l'idée que tout ça est bien réel et pas une sacrée mauvaise blague ? Lys est pas sûr que l'idée soit bonne. Histoire de gagner un peu de temps mais aussi d'aider Maggie, il approche.

- Attend, déjà faut qu'tu t'détendes. Laisse-moi faire.

Il passe dans le dos de son ancien compagnon d'armes et repousse ses cheveux vaseux pour chercher l'accroche de la fermeture de sa tenue. Là, il l'ouvre et descend un peu la fermeture éclair, sans trop en faire. Assez pour que ça soit facile à attraper pour Maggie s'il ressent le besoin de faire plus.

- T'respires mieux c'est bon ?

Il revient devant lui et l'observe à nouveau, jugeant un peu de son état avant de songer à comment lui exposer les choses sur le « après cryonie de 37 ». Est-ce qu'il doit juste énoncer ça comme lui ? De toute façon, Lysandre est pas doué en discours.

- Ok, donc, t'as été congelé en 37. Onze ans après, j'étais toujours dans l'armée. Entre temps j'suis passé formateur de survie en milieu hostile, t'vois l'idée ? Du coup quand Perséphone est venu me trouver en me proposant de participer à leur truc car j'avais les qualités pour, j'ai dit ok. Sauf qu'on m'a pas caché le but du truc. J'allais m'réveiller un jour où l'humanité aura quasi disparu, avec l'idée que justement, elle disparaisse pas grâce à nous. Donc... bienvenue là, hein.

Évidemment, il songe à comment il aurait réagit devant un truc pareil. Lui avait eu le temps de se préparer un minimum mentalement, à faire ses adieux, à songer à quoi apprendre avant que certaines connaissances disparaissent... Mais pour l'autre, c'était juste pour dix ans. Dix ans, c'est long, ok. Mais ça a rien à voir.

- Ça craint.

Mais bon, maintenant qu'il est là, Lys va pas le laisser derrière malgré son amertume pour cette fois où Maggie avait pété les plombs. Il n'est pas stupide non plus.

- Viens, on va sortir de là. Tu t'sens en état ? On va attirer les crocos, et j'doute que t'aie envie qu'on balance ton chat comme appât pour s'en sortir si y'en a un qu'approche.

Si l'autre avait pas l'envie de bouger, l'idée de perdre son animal allait peut-être jouer. Combien de gens refusaient d'écouter les pompiers qui demandaient d'évacuer un immeuble sous prétexte de sauver leur chat ? L'argument allait peut-être faire mouche.

- On va aller vers les steppes, genre vers là où on était cryonisé. T'connaitras l'endroit au moins. Allez, go.

Et pour le motiver, le brun commence déjà à se détourner. Aucun doute que donner des ordres directs ça marchera pas pour un mec que l'armée a fait vriller. La persuasion, c'est encore autre chose.

Il sursaute au contact, il ne s’y attendait pas, malgré l’avertissement. Cependant, il le laisse faire, la pression sur sa gorge et sur son torse soulagée. Il hoche la tête, tentant de calmer sa respiration. L’air dans son dos le fait frissonner. 
Il doit avoir l’air tellement bête. Crawford doit se demander comment il a bien pu devenir caporal avec un mental pareil. Pff. Maggie aussi se le demande. 

Ensuite, il l’écoute attentivement, la vérité -qu’il savait déjà au fond- délivrée de façon brute et honnête. Le bienvenue lui fait pincer les lèvres. Bienvenue hein… Bienvenue après la fin du monde. On dirait un speech de film catastrophe. Un mauvais film. Avec que des mecs super baraq, et des meufs maquillées parfaitement sans aucun cheveux gras. Il n'était pas vraiment fan de ces films… Pas qu’il risque d’en voir un autre maintenant. 
Parce que tout le monde est mort. 

L’information est difficile à digérer. Il ne pourra jamais se réconcilier avec ses parents, même si c’était peine perdue. Il a toujours eu ce mince, très très mince espoir qu’un jour, sa mère le considérerait comme autre chose que neufs mois perdus et de l’argent gâché. Que son père l'accepterait à nouveau dans la famille et lui dirait qu’il peut devenir ce qu’il souhaite. On lui a toujours rabâché que la famille est le plus important dans la vie, que c’est une partie de toi à chérir précieusement. Il pensait que l’argent de l’expérience aiderait. 
Il ne reverra jamais ses oncles et tantes. Même s’ils ne les voyaient pas beaucoup, à cause de la distance entre les deux pays. Il aurait dû essayer de les contacter quand il s’est fait virer de l’armée. Il avait six mois pour le faire avant d’accepter d’être enfermé pour dix. Il a eu peur. Alors qu’il sait qu'eux lui auraient juste dit de les rejoindre. Ils ont toujours été sympa. 
Du gâchis. 
Il ne reverra pas non plus l’employée de la SPA où il allait déprimer les trois quarts de son temps, ils s’entendaient vraiment bien. Elle lui montrait comment s’occuper des chiens. Et le laisser faire avec les oiseaux. Il aimait réellement bien. 

Qu’est-ce qu’il a été con. 
Il n’aurait jamais dû participer à ce truc. 

Au moins Lysandre est…gentil. Patient du moins. Il lui a tout expliqué, et essaye de l’aider alors que lui n'a jamais était cool avec. En temps normal, Maggie détesterait ça. Il a l’impression de faire pitié. 
Mais l’argument fonctionne, et il se lève. Comme un piquet en vrai. 

“Hm. Oui. Bonne idée.” Il rassemble ses affaires, fourrant le poisson séché-salé à moitié bouffé dans son sac, et prend galette dans ses bras (hors de question qu’elle serve d'appât, si Lysandre fait ça..Et bien Maggie le balance avec.)

Il marche rapidement, déterminé. À le voir, il va clairement mieux ! 

“On va retourner à la ruche, oui. Ouais. Et, et je vais retourner dans le pod. Et le remettre en route, et comme ça, dans encore un millénaire, je vais me réveiller et on aura inventé le voyage dans le temps et voilà ! Pas de problème ! Je pourrais même retourner au moment où je t’ai rhabillé pour le dimanche si tu veux et te dire à l’avance de ne pas enculer ma sœur fictive. On devrait tous faire ça. Ou alors, le pod aura une fuite pendant le process, et je vais m’étouffer dans mon sommeil ! Parfait. Ce serait parfait ! Les deux cas ! Et Galette fera ce qu’elle veut !” 

Ouais. Ok. Il ne va pas si mieux que ça. 

L'argument du chat marche, puisque l'autre se redresse d'un seul bond, droit comme un I. Il attrape son chat et se met à marcher. D'ailleurs, Lys avait pas vu à quel point la bestiole était massive. Sûrement une évolution des chats redevenus sauvages. A moitié sauvage. Parce que pour se laisser porter comme ça...

Il marche vite, et Lys l'accompagne au même rythme car pressé de sortir de là. Le marais, plus jamais. C'est bien noté. Il écoute l'autre parler, remarquant qu'il ne va pas si mieux qu'il n'en a l'air, à parler si vite et sans prendre de pause entre ses phrases. Sans parler du délire. La réalisation est violente, visiblement. Pauvre gars.

- Si tu l'dis.

Il se voit pas le contredire, puisque l'autre fait une sorte de « deuil » à sa façon de sa vie d'avant. Lui dire d'arrêter, ça pourrait aggraver les choses. Alors le balafré se tait, et marche. Il surveille pour deux les alentours. Un mouvement attire bien son regard à un moment, mais plus rien ensuite. Ils ont de la chance, les crocos et autres machins sont rassasiés. Le soleil commence à bien tomber, l'air de rien, alors Lys marmonne qu'il espère qu'ils sortiront de là avant la nuit. C'est l'heure où les prédateurs ont tendance à se mettre en chasse et il n'a pas envie de finir en casse-croûte.

- Allez, on y est presque.

Ou pas. Mais il faut bien motiver les troupes. Heureusement, c'est à peine une demi-heure après ça qu'enfin, le marais commence à perdre en profondeur et que les arbres se font plus éparses. Il y a de plus en plus de mini-îles, et bientôt ils peuvent voir la plaine adjacente à cette tourbière. Enfin. Mais hors de question de se relâcher maintenant, car rien ne dit que d'autres menaces ne traînent pas dans le coin. Et puis faut qu'ils se sèchent, surtout Maggie qui a bu la tasse. Ce serait con de chopper une merde et mourir comme ça.

- Regarde, on y est...

Et en approchant, Lys tourne son regard quand quelque chose attire son attention. Une lueur vacillante. Un feu. Quelqu'un ? Leur salut, peut-être, pour peu que la personne à son origine soit accueillante. Le militaire encourage son compagnon à tourner, pour s'y diriger, sans parler. Il ne va pas mentir, il est claqué. Patauger dans les marécages, ça l'a épuisé. Il a encore la force de rester sur ses gardes par rapport à l'inconnu près du feu, qu'il discerne maintenant en ombre chinoise. Un long manteau et des longs cheveux clairs. Pas quelqu'un qu'il a déjà croisé, c'est certain.

Une fois à portée, avant même que Lys n'ouvre la bouche, l'inconnu les interpelle. « Enlevez vos fringues ».

- Pardon ?

Alors, oui, ok, ils devaient se changer. Tout le monde pouvait s'accorder sur ça. Mais là, voir un gars étrange mettre un couteau au feu et leur filer ce genre d'ordre sans même dire bonjour, au milieu de la steppe, c'était franchement bizarre. Instinctivement, Lys fait un pas pour être en avant par rapport à Maggie quand celui-ci est montré du doigt par Monsieur Cheveux Blancs. La cicatrice sur son visage pourrait lui donner un air plus patibulaire, mais Lys serait bien mal placé pour juger ça. C'est plus son attitude qui lui inspire tout sauf de la confiance.
Sa main est posée sur la machette qu'il avait pris soin de mettre à sa taille.

- Alors déjà, bonjour ? Et nos sangsues vont très bien, merci. On peut s'en occuper seuls.

Ok, ils venaient pour gratter le feu. Certes. Ok, il est habitué à se foutre à poil devant d'autres gens grâce à l'armée, et sûrement que Maggie a gardé ça aussi. Certes.

- T'es là depuis combien de temps ? Quelle génération ?

Gratter des infos, c'est toujours utile. Une chance que l'autre parle anglais.