Jasper te lance l’idée et comme toujours, tu cours avec.

Je pense qu’il dort depuis trop longtemps pour avoir un avis.

Après tout s’il était en vie, le dragon aux écailles blanches, il se serait réveillé une des fois où ils lui ont marché dessus. Ou quand la Terre est morte.
Si le dragon existe vraiment il a juste disparu en même temps que tout le reste. Il a pas vécu plus longtemps que les abeilles.
Tu vas pas te priver de marcher dans la flaque géante pour si peu, de toute façon. Et puis tu as déjà un pied à l’air. L’autre en bonne voie de l’être.

La terre gronde, rugit, et l’eau surgit. Tu sautilles sur le pied encore dans la chaussure après t’être relevé avec la précipitation d’un chat qu’on vient de faire sursauter, échangeant de place avec Jasper. Il fait soudain chaud comme dans un sauna près du lac de sel, sur ta face, sur tes mains.
Tu échanges un regard choqué avec ton compagnon, incapable de trouver un bon mot.
Et puis après tu n’as plus rien envie de dire. Tu veux juste l’entendre rire, profiter du moment, de la rareté de l’instant. Tu veux l’accompagner alors te voilà aussi parti dans un fou-rire à la seconde où tu te rassois pour être à ses côtés. Vos épaules se touchent, vos voix se mélangent.

Okay, pas de pierres alors.

De nouveau la terre gronde mais cette fois tu es préparé : tu te tournes vers le geyser pour admirer la force de la nature, voir la bulle d’eau se former, le liquide s’envoler, le soleil briller à travers les gouttelettes. Il y a quelque chose de plus beau que terrifiant là dedans à bien y réfléchir.

Tu sais…

Tu commences, pensif, toujours l’ombre d’un rire au fond de la gorge.

… je pense qu’il veut juste faire des arc-en-ciel pour nous.

Et peut-être vous bouillir vivant, juste peut-être. Mais c’est un détail et tant que vous ne vous approchez pas du trou dans le sol, tout semble à peu près sécurisé. Et il n’y en a pas sous vos fesses -tu viens de vérifier.

C’est peut-être pour nous saluer.

Il faut bien de ton optimisme pour aller avec le décalage de Jasper alors tu te vautres dedans, trop heureux d’imaginer que le grand dragon blanc souffle des ponts multicolores vers des pots d’or ou n’importe quelle autre histoire du même genre, si c’est juste pour vous.

Mais enfin, c’est pas un lama.

C’est un jeu, une plaisanterie de que tu sors juste pour continuer à entendre Jasper parler. Tu te souviens des histoires de lamas crachant pour signifier qu’ils sont fâchés et tu t’en sers, dans un rire, comme manière de gentiment réfuter la théorie du dragon mécontent.
Il enlève son pantalon, toi tu finis d’en faire de même avec tes chaussures. Il n’y a pas de pudeur à avoir, plus depuis très longtemps, et ce n’est pas non plus le moment de faire un commentaire sur le blanc postérieur de ton compagnon. Tout au plus te contentes-tu d’un coup d’oeil approbateur avant de suivre son regard à l’horizon.

Plutôt un…

Pot d’or ou un cimetière d’éléphants ?, allais-tu demander, mais voilà que Jasper part en avant d’un pas conquérant avant que tu aies pu finir, droit vers la gueule bouillante du danger. Tu es bien obligé de te taire et de cavaler à sa suite, l’attrapant par les hanches pour le détourner de son chemin. Ce n’est pas très difficile, ton geste est tendre malgré l’urgence de l’intervention. Tu serais effondré s’il finissait ébouillanté.

Oooon ne sait pas à quelle profondeur ça descend, faisons le tour !

La technique de guidage de tête-en-l’air est éprouvée et très facile : bras dessus, bras dessous, tu t’accroches à ton compagnon comme un petit couple en goguette que vous êtes -en prenant soin d’être du côté du geyser, bien sûr. Et pour surjouer le comique, tu prends ta démarche de noble victorien, le torse gonflé, la moustache soigneusement entortillée alors que tu commences à contourner le gouffre meurtrier.

Marchons, très cher, jusqu’au trésor ! Et espérons qu’il s’agisse d’un pot de crème solaire sans quoi tu vas finir avec les escalopes grillées et Astrid va me tuer.

Peut-être que tu devrais aussi enlever ton pantalon, pour l’accompagner, mais le tien n’est pas mouillé. Et puis tu aimes bien cette image que tu as de vous, toi les orteils à l’air, Jasper le fessier aux quatre vents, ce côté bancal qui vous va bien. Pour la cinématographie dans ta tête c’est parfait.
C’est décidé alors, tu vas garder tes vêtements.

Ton instinct te dit quel genre de trésor nous attend, hm ?

Le tien te dit que ce sera l’amitié trouvée sur le chemin, ce qui te satisfait parfaitement. Oui, tu es peu matérialiste comme ça, un bon moment à deux te suffit. Pour cette fois en tout cas.

Elles n’ont pas l’air immenses, ces choses que Jasper pointe du bras. Tu as beau plisser les yeux, faire une grimace de concentration, tu as bien du mal à déterminer ce que c’est ou si c’est grand mais vraiment, tu te serais attendu à une tour qui monte jusqu’au ciel en guise de trésor. L’un des bon vieux buildings rongés par le vent et le temps que vous croisez parfois aurait fait l’affaire. Au lieu de ça, il y a des… Tu te décides pour “molaires de dragon” qui narguent tes attentes au loin, et toi tu es déçu.

Je pense que c’est juste des rochers.

Tu ronchonnes, pas très sérieusement. Ce serait bien que ce soit quelque chose d’intéressant, mais que pourrait-il bien se trouver dans ce désert à part encore plus de sel et de soleil ? Pas de bâtiments, pas de vrais dragons, ça c’est sûr. Il va falloir essayer de ne pas avoir l’air trop blasé lorsque vous vous retrouverez nez à nez avec un gros caillou plein de roche. Tu commences déjà à te préparer.

Je viens, je vieeens !

Pas que tu aies le choix : Jasper te tire et te traîne alors tu suis, toujours bras dessus bras dessous, toujours aussi dissemblables sous le soleil qui continue de frapper.
Au moins vous finissez par vraiment mettre les pieds dans l’eau pour aller en direction des molaires, et tu voudrais remercier le hasard qui a fait pleuvoir avant votre arrivée. Pieds nus comme tu es, c’est un pédiluve qui repose les petons et tu soupires de joie. C’est plutôt agréable. Même rigolo, lorsque tu commences à sautiller comme un gamin dans une flaque, projetant des gouttes d’eau partout autour de vous. Tant pis si le bas de ton pantalon est trempé ou que tu ressembles à un gamin.
La seule chose qui t’arrête, c’est la réalisation des reflets du soleil sur la surface de l’eau. Toi ça va aller, tu ne vas pas brûler, mais ton rouquin de compagnon… Tu t’arrêtes d’un coup -cette fois c’est toi, oui- et tu farfouilles dans ton sac jusqu’à en sortir une écharpe aux couleurs bouffées par le temps. Elle est vaguement orange, cette protection que tu tends à ton compagnon, moins que ses cheveux mais plus que les tiens. Tu l’avais trouvée dans une carcasse de voiture, tu t’en souviens encore, étalée près de quelques restes de ses anciens propriétaires peut-être.

Tu devrais te couvrir la tête.

Si vous aviez de la crème solaire tu lui en aurais mis sur le nez et cette idée te fait sourire. Ca va tourner à l’obsession, cette crème.

Si on trouve des chapeaux là-bas on pourra faire mieux, mais bon…

Te revoici lancé à plisser les yeux en direction des structures bizarres, toujours trop loin pour savoir exactement ce que c’est, assez près pour que tu puisses te rendre compte que ce n’est pas minéral. Ca semblerait même fait de main d’homme, maintenant que tu y regardes bien. Les formes sont trop régulières. Trop espacées nettement.

Mais qui ferait des maisons ici ?

Que tu te demandes à haute voix, trop surpris par la réalisation pour te retenir.