Sous ses pieds, des plis de lave refroidie lui évoquent une vieille peau ridée. Ainsi, quand il reconnait Rio de Janeiro, Gaïa lui rappelle qu'un millénaire est passé et que l'emprunte humaine a très mal vieillie.

Jasper, qui pensait se diriger vers le Pérou, contemple la silhouette imposante du Christ Rédempteur avec lassitude. Il est certes un peu moins perdu, mais encore très, très loin de sa ruche.

Rien de bon ne l'attend dans ce désert de basalte et il ne lui reste bien qu'à faire demi-tour.

Ce qui l'étonne, au retour, c'est qu'il y a soudainement des petites parcelles bleues - comme des feux follets végétales - qui percent le sol noir. Ce qui est d'autant plus surprenant étant qu'il en trouve à des endroits qui, il est prêt à le jurer, étaient complètement stériles quelques jours plus tôt à peine.

Ça sent le mystère et Jasper sait qu'il tient une piste du moment que des oiseaux de métal familiers commencent à apparaitre pour guider ses pas.

Isa, où qu'il soit, suivra lui aussi cette piste ; au bout de cette piste, il y aura Isa. 

— ISAAAA !

Appelle-t-il, convaincu - avec raison, bien qu'en sous-estimant la distance importante qui les sépare encore.

Quelque part, il y a une terre promise qui l'attend, mais pour l'instant, il faudra déjà traverser ce satané désert.

C'est un endroit bien curieux, sombre et hanté par des ectoplasmes végétaux. Somme toute, une scène appropriée pour qu'entre ce drôle de personnage qui se présente à lui. La première réaction de Jasper est viscérale : il a en face de lui Méphistophélès, prince des enfers, ou l’incarnation faite chair de ces lieux infernaux. Sauf que la combinaison noire que porte l'inconnu, il la reconnait, et cela suffit à exorciser ses pensées les plus saugrenues.

Messire Goupil, l'avait-il appelé. Cela l'amuse.

— Je vous en prie, nul besoin de telles formalités, vous pouvez m'appeler Renart.

Jasper, de son côté, a le teint livide et l'aspect un brin émacié, mais il s'en sort tout compte fait assez bien pour un homme qui erre seul depuis plusieurs mois maintenant... Ce qui ne l'empêche pas de balayer l'homme-corbeau du regard pour évaluer ses possessions, se demandant quelles ressources il peut bien cacher par dessous ses jolis apparats - et pour voir si, au final, il le surnommerait bientôt Tiécelin.

— Ce bleu est une piste, corrige-t-il ensuite, il faut les suivre.

En l'occurrence, on voit clairement que le bleu s'intensifie vers l'Ouest et que c'est par là qu'il faut se diriger.

De la nourriture, Jasper en a sur lui. Cachée ci et là entre ses haillons, ses poches, sa cape et son sac, ce n’est rien de très gourmet : surtout des rations sèches, des noix, des racines et un pauvres fruit qui commence à ratatiner. De maigres rations, donc, qu’il n’avait pas l’intention de la partager.

Si la fortune eut voulu qu’ils se rencontrassent ailleurs, peut-être que ça aurait été différent. Dans l’abondance, Jasper aurait rompu le pain avec plaisir, offrant en à côté des récits d’aventures entrelacées d’expériences vécues et d’idées fantasques quant à ce Nouveau Monde qu’ils habitent. Mais pas ici. Pas en sachant qu’ils pourraient, tous les deux, aussi bien mourir de faim ou de soif avant de retrouver de quoi boire ou de quoi manger.

À sa question, il répond donc en levant les bras pour désigner ce qui les entoure.

— Je peux vous partager ma délicieuse recette de soupe aux pierres... Il vous faudra seulement fournir les carottes, les patates et les oignons.

Plus sérieusement, il relance, avant de reprendre son chemin d’un bon pas :

— Il y a davantage de végétation, verte et bleue, à l’Ouest et c’est donc par là que je vais.

Comme d'habitude, quand Jasper se lance, rien ne l'arrête. Mais quelque part, il espère quand même que le jeune inconnu le suive. La compagnie lui fera du bien, surtout lorsqu’il tombera, quelques minutes plus tard à peine, sur un spectacle bien étrange.

— Et la soupe à la tortue, vous savez la faire?

Lance-t-il en mimant de se retourner, quoique sans jamais lâcher le drôle de chélonien des yeux. La mousse bleue qui couvre l’animal ne le rend pas forcément appétissant.

— Assurément, ce n’est pas celle-là qui va surpasser le lièvre.