Misanthrope qu’il est, Ewan apprécie grandement les voyages -plus ou moins- réguliers qu’il entreprend pour surveiller sa ruche. Les Abris Suspendus se remplissent, lentement mais sûrement, et deviennent bien trop peuplés à son goût. S’il reste facile de s’exiler quelques heures dans la jungle environnante, le jeune homme se rend bien compte que cela ne lui suffit pas tout à fait -énième différence fondamentale entre son paternel et lui, au passage. Il ne sait pas si la présence d’Ayla à ses côtés atténuait cette tendance avant la cryonie ou si ses années d’errance solitaire l’ont exacerbée mais toujours est-il que la moindre excuse pour passer du temps seul est très appréciée.
C’est avec son éternel sac à dos sur les épaules qu’il se lance dans son expédition habituelle. Le chemin lui est familier à présent : il campe aux mêmes endroits, fréquente les mêmes points de pêche, a même posé des pièges qu’il consulte sur la route. Parfois, il n’y a rien, d’autres fois il remarque des traces qui lui font dire que certains -humains ou autres prédateurs- se sont servis avant lui. Cela ne le dérange pas. Peut-être qu’il peut être utile à sa sœur ainsi, même sans être auprès d’elle.
Malgré son côté solitaire, il profite également de ses escapades pour améliorer la ruche. S’il a totalement abandonné l’idée d’en aménager les alentours -à moins d’empêcher l’inondation en construisant un plancher sur pilotis, cela ne tiendra pas plus de six mois et il n’est pas assez doué (ni patient) pour ce genre de gros œuvre-, Ewan apporte à chaque voyage de quoi rendre l’intérieur de la ruche plus agréable, à défaut d’habitable au sens strict.
Cette fois, il a pris avec lui des planches découpées avec Callem ainsi que des filets fins et de quoi tresser des paniers. L’objectif est de construire une étagère qui pourrait contenir de la nourriture séchée, à l’abri de la mousse et des insectes qui traînent dans le coin. Ewan sait bien que tous les participants au projet Perséphone possèdent des gélules nourrissantes, mais il a également rencontré assez de paumés sur ce foutu continent pour savoir que ce n’est absolument pas suffisant. Parfois, il se demande combien ont pu mourir car incapables de se sustenter correctement et il sent une bouffée de colère l’envahir. Mais ça ne dure jamais longtemps.
Durant ses quatre ou cinq jours de voyage, il lui arrive également de s’arrêter un peu simplement pour profiter de la solitude et du paysage, qu’il continue de crayonner à loisir. Dernièrement, il s’est pris de passion pour la faune locale, qu’il tente de dessiner de son mieux bien que cela ne soit pas son point fort. Les oiseaux, notamment, font de très bons modèles tant qu’ils acceptent de rester sur leurs branches. Ce n’est pas le cas cette fois-ci, et Ewan soupire en refermant son carnet avant de se lever pour continuer sa route. Il n’est plus très loin, à présent.
Les paysages ver...bleudoyants de la jungle ont laissé place aux steppes arides. Les arbres s’affinent et s’abaissent, les buissons s’épaississent, le soleil perce jusqu’à dominer le ciel et l’atmosphère se fait progressivement moins étouffante, bien que toujours humide. La saison des pluies n’est jamais très loin. Quelques heures plus tard, il s’approche du rocher qui est devenu son point de repère. L’entrée de la ruche n’est plus qu’à quelques dizaines de mètres. Il s’agit d’un chemin souterrain, entre quelques buissons -qu’il taille également à chaque voyage- et d’un amas rocheux qui contient le lecteur de puce.
S’approchant, Ewan fronce les sourcils, constatant que quelque chose cloche. Il y a visiblement eu du rififi dans les herbes hautes. C’est d’abord la possibilité de la présence d’un animal sauvage qui l’effleure et il porte la main à sa ceinture, près du couteau de chasse qui ne le quitte plus.
Ce n’est qu’en avançant assez pour que la technologie détecte son tatouage et ouvre le sas en flanc de pierre qu’il réalise qu’il y a une autre option. Peut-être que quelqu’un s’est réveillé depuis son dernier passage. Bizarrement, l’idée le ravit : il serait temps !
Prudemment, Ewan emprunte le chemin en pente, plus boueux qu’autre chose, qui l’amène à une seconde porte. Ce sas est très certainement là pour empêcher les fortes pluies d’infiltrer directement la ruche. Les scientifiques ayant décidé de l’emplacement savaient ce qu’ils faisaient, au moins à ce niveau. Le chemin n’est pas long, à peine une dizaine de mètres, mais suffisant pour avoir l’impression de s’enfoncer au centre de la Terre. Enfin, Ewan lève le bras pour ouvrir la seconde porte.
Le lieu paraît étrangement plus grand à l’intérieur. Malgré toutes les précautions prises, une végétation légère est parvenue à s’infiltrer par endroits au fil des siècles : un tapis de mousse recouvre un pan de mur. Au sol, ce sont quelques lierres tenaces qui poussent par endroits, malgré l’absence de lumière naturelle. Les cocons ne sont pas collés au mur mais disposés de manière anarchique un peu partout dans la pièce : il est évident que certains ont été ajoutés au dernier moment, comme si l’on n’avait pas pensé possible d’avoir quelqu’un à y mettre. Quand Ewan les regarde, il a souvent la sensation de faire partie de la dernière des dernières chances...
...Et en même temps.
Avec un soulagement non feint, il pose son sac près de l’entrée et s’étire en faisant quelques pas, profitant de cette pause bien méritée pour se délasser un peu. Vers le milieu de la pièce, là où la Nature risque le moins de l’atteindre, se trouve déjà une petite table, jonction de planches retaillées et tronc d’arbre trouvé dans la jungle qu’il a installé lors de sa dernière visite. Dans son propre cocon, depuis longtemps ouvert, il a installé une sorte de cache de matériel. Cordes, filets de pêche, pierres taillées à la manière d’un silex et morceaux de bois permettant la création de flèches -ou de petites lances pour les plus intrépides- ainsi qu’un petit kit de filtration d’eau et quelques infos rudimentaires (en anglais) dont un « Servez-vous » gravé dans une morceau de bois calé contre la capsule.
C’est là-bas qu’il se dirige, dans l’optique de faire un inventaire rapide et voir si quelqu’un est effectivement passé par là, quand il entend un bruit et du mouvement un peu plus loin. Intrigué, Ewan s’arrête net avant de tourner dans la direction où il lui semble avoir entendu quelque chose (c’est que l’endroit n’est pas des plus éclairés).
« Euh... Salut ? »On n’est pas à l’abri d’un droïde, mais cela commence à faire beaucoup de coïncidences, quand même... Le jeune homme est presque enjoué à l’idée de faire une nouvelle rencontre dans sa propre ruche.
Il risque d’être servi.