Souvent, le monde se dessine dans l’esprit rêveur de Jasper tout en poésie et en beauté. Avec Astrid et Isa - son étoile et son ancre - il a su s’y repérer et y naviguer à sa façon. Sans eux, hélas, la frénésie et la solitude se disputent désormais sa psyché en laissant de lui, dans leur sillage, à peine mieux qu’une épave confuse. Aujourd’hui, en effet, le monde lui montre son plus laid visage et il se retrouve à la merci de ce qu’on ne pourrait décrire que comme un cauchemar éveillé.
Astrid avait dit, jadis, qu’ils pourraient toujours se retrouver en retournant à leur ruche là-bas dans les montagnes. Jasper tente précisément de faire cela depuis plusieurs jours déjà, mais encore aurait-il fallu qu’il sache dans quelle direction se diriger. Il sait bien, pourtant, que la fiabilité discutable de son sens de l’orientation ne pourrait que le perdre davantage. Le temps et les kilomètres se défilent donc, et, à l’aube d’un énième jour d’égarement, Jasper contemple la ligne d’horizon dentelée d’une ville - ou plutôt de son ombre projetée sous la lumière d’un passé révolu.
Il n’avait jamais mis les pieds ici auparavant. Ainsi s’écrit cette nouvelle et horrible péripétie de son errance solitaire: un cimetière de béton où l’on retrouve par centaines des squelettes architecturaux grugés par des racines, assaillis par de la mousse et étouffés par des vignes.
Avec son compagnon, ils auraient considéré cette trouvaille comme une opportunité fertile en aventures. Or, seul, ce jardin de ruines n’inspire à Jasper que des tourmentes et il possède juste assez de conscience de lui-même pour réaliser qu’il se sent claustrophobe - comme oppressé par l’immensité du monde.
Il en tremble... Et la ville tremble avec lui.
Elle grogne et se secoue tel un animal hérissé, mécontente envers celui qui l’a dérangée. Lui, il s’agrippe au premier arbre qu’il trouve, inconscient du danger que cela représente, mais assez chanceux pour s’en sortir indemne. Après le séisme, plusieurs secondes passent avant que Jasper ose bouger, se faisant tout petit et prudent de peur d’éveiller à nouveau la bête-qui-gronde-sous-la-terre. Tout cela seulement pour sursauter d’autant plus fort quand le ciel, à son tour, décide d’exploser à la place.
Définitivement, cet endroit ne veut pas de lui et il a toute l’intention de partir sans demande son reste quand, soudain, du coin de l’œil, un mouvement parmi le chaos attire son attention : une silhouette, là-bas, minuscule, mais clairement humaine, en train d’escalader le versant décrépit d’un édifice.
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ISAAAAAAAAAAA ! appelle-t-il avant même de réfléchir à sa situation. De même, ses jambes le portent avant qu'il le réalise: il court, contourne, saute et grimpe avec cette adresse qu’on ne lui devine pas au premier abord, mais qu’il avait bel et bien acquise au courant des dix dernières années.
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ISA ! lance-t-il encore, mais Isa ne lui répond pas... et la personne là-haut non plus d’ailleurs, ou du moins pas avant qu’un cri strident et agressif ne le fasse en premier. Entre les deux hommes, une hideuse tête d'un blanc sale émerge par une fenêtre sans vitre, prête à mordre à l’aveugle tout ce qui aura le malheur d’entrer dans sa proximité.
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